Chronique d’une famille nombreuse en confinement : le jour de trop


Famille nombreuse / samedi, mai 9th, 2020

Ça planait. Je le sentais bien depuis plusieurs jours qu’il y avait comme un trop plein. Je voyais bien que chacun de nous avait de plus en plus de mal, de moins en moins de patience. Je la voyais bien venir la vague (que dis-je, la vague, le tsunami). Mais j’ai fait comme le gouvernement, j’ai procrastiné. En me disant que ça allait le faire. Finalement, ça doit être dans l’air du temps de faire l’autruche.

Et puis ce matin, ploc, ça a explosé.

Parce que les filles s’étaient couchées à 23h (dans leur lit tout compte fait, parce que dehors, y avait un truc qui n’allait pas. Quoi ? J’ai toujours pas compris), après avoir fait 50 allers retours entre la tente et la cuisine.

Parce qu’elles se sont levées à 6h30, et qu’elles ont tapé la discute sous nos fenêtres sans se demander si ça pouvait poser problème (elles avaient même pas d’attestation de sortie les greluches).

Parce que deux de nos poules se sont fait la malle (elles ont vu le portail ouvert, elles se sont dit chouette, allons faire un tour – toujours sans attestation de sortie, plus aucun respect). On les a récupérées, mais elles ont recommencé. Comme si j’avais que ça à foutre de leur courir après. Je l’avais dit pourtant que je n’avais pas le temps pour des poules. Bref.

Parce que num2 refuse obstinément d’apprendre ne serait-ce qu’une ligne de sa poésie (Théophile Gauthier les mecs, on est loin d’une souris verte, c’est moi qui vous l’dis. 200 balles qu’elle la connaît pas jeudi prochain) alors que je ne lui demande que d’apprendre 2 lignes par jour (14 lignes au total, 8 jours pour apprendre, on était large. Au départ).

Parce que num1 m’avoue que le pot à crayons de la cuisine (que je cherche depuis 23 minutes) est tombé derrière le seul meuble qu’on ne peut pas bouger.

Parce que y a plus de rosé.

Parce que num4 a toujours faim, et qu’il me colle aux basques en réclamant à bouffer ALL DAY LONG. Parce qu’il va jusqu’à faire les poubelles de compost pour récupérer les épluchures (véridique, je viens de lui retirer de la bouche des pelures de kiwi. DE KIWI).

Parce qu’on ne peut même plus le mettre dans son parc ou dans son lit dans l’espoir d’avoir 5 minutes de tranquillité rapport au fait qu’il est la réincarnation de Houdini (pour ceux qui auraient raté ces deux vidéos incroyables, je les ai mises en une sur Insta). Vous visualisez le puit dans lequel Batman est retenu prisonnier chez Ra’s al Ghul ? Je suis sure que num4 en serait sorti sans les mains.

Parce que l’une des filles avait encore oublié de fermer la porte des toilettes et que j’ai retrouvé num4 pataugeant dans la cuvette des chiottes pour la quatrième fois cette semaine. Et parce que c’est arrivé deux fois dans la journée.

Parce que les enfants ont arraché les fleurs des rosiers pour faire des potions de sorcière.

Parce que la maison est un bordel inextinguible (l’énervement n’empêche pas de sortir des mots incongrus et peu usités, absolument), et que je n’ai clairement pas les ressources nécessaires pour y remédier.

Parce qu’il faut faire 3 putains de repas par jours, TOUS les jours. Pour encore une période indéterminée mais si il fallait parier, je dirais 16 semaines à la louche (et a minima évidemment).

Parce qu’il faut aussi prendre le temps d’éveiller les plus petits, raconter des histoires, apprendre l’alphabet, les couleurs, les parties du corps humain, les premiers mots, les animaux (et le bruit qu’ils font), les fruits, les légumes, à dessiner un bonhomme pour se rassurer quant au temps passé devant les écrans (vous les avez vu vous aussi ces dessins comparatifs chez vos docs, ça fait flipper, c’est vrai).

Parce que je fais parti des « chanceux » du confinement qui ont maison et jardin, vivant à la campagne, pouvant laisser ses enfants vagabonder dehors quand ils le veulent. Les mêmes chanceux qui, en temps normal, ne font absolument pas rêver les citadins, bien trop contents de pouvoir tout faire à pieds ou en transports en commun, de pouvoir commander des sushis ou une pizza à 19h04 parce que « ce soir, on a la flemme », de pouvoir aller au ciné à l’arrache parce que c’est à côté, d’avoir une offre culturelle pléthorique, etc. Et oui. Oui je fais des généralités. Évidemment.

Parce que ça fait… 8 semaines. 56 jours. 1344 heures. 80 640 minutes. Je vous épargne les secondes, j’ai pas l’énergie de chercher une corde. Finalement, peu importe si on confine en appart, en maison, en château, avec une cour en béton ou les jardins de Versailles, seul ou en tribu, à 23 ou 75 ans, en ville ou à la campagne. La vérité c’est qu’on n’en peut plus. Qu’on en a tous ras la touffe de poils de ne pas avoir d’autre horizon que nous même (je parle là des gens qui respectent le confinement évidemment, pas de ceux qui se tapent des barbecs entre potes depuis 5 semaines sans en avoir rien à bramer des règles parce que de toute façon tout ça, c’est une conspiration intergouvernementale fomentée par une alliance bipartite francs-maçons/Illuminati, et dont le seul but est bien entendu la domination mondiale par les bouffeurs de fêta). Bref. On en a gros.

D’autres blogueuses bien plus talentueuses l’on très bien dit, je n’en rajouterai évidemment pas plus et vous inviterais plutôt à aller les lire si le cœur vous en dit. Mais le fait est que, de mon côté de la lorgnette, je vous le dit tout de go : dès que c’est possible, on lâche les nains à leur grand père et on se barre.

Oh, pas longtemps, je ne voudrait pas choquer les parents défenseurs de la bienveillance à tout crin et pourfendeurs des VEO (qui seraient arrivés sur ce blog on ne sait comment). Nan. Trois quatre jours, histoire de me rassurer quand à la réalité de ma vie d’avant. Celle où on n’était pas dans une dimension parallèle où ces petits êtres prenaient toute la place.

Pour pouvoir recommencer à les aimer de manière inconditionnelle. Sans avoir en même temps une envie irrépressible de les étrangler (ce qu’on se garde bien de faire hein, on est bien élevés).

Pour qu’ils puissent de nouveau nous manquer.

Pour qu’on puisse de nouveau être heureux de se retrouver le soir et se raconter nos journées.

Pour qu’on puisse tous recommencer à vivre, tout simplement.

Voilà. Voilà où j’en suis à J-2 du début du premier palier de déconfinement. Parce que des paliers, à mon avis, on va en avoir un certain nombre. Alors bon courage à tous. Vraiment.

PS : pour rappel, il y a 8 semaines, l’histoire commençait comme ça…

5 réponses à « Chronique d’une famille nombreuse en confinement : le jour de trop »

    1. Je t’avoue qu’on n’avait pas pensé à le mettre avec les poules, en revanche le fil barbelé autour du lit, on l’a envisagé quelques heures 😉 …

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.